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En une dizaine d'années, la plasticienne belge Laetitia Lefèvre (1975) a développé un corpus d'oeuvres sensible et cohérent mettant en tension le toucher et l'absence de contact. Impliquant savoir-faire et ma”trise des techniques traditionnelles, sa production n'exclut a priori aucune forme, même si la sculpture reste son médium de prédilection. Que ce soit dans ses dessins - qui ont tendance à repousser les limites du plan -, ses installations ou ses photographies, la sensualité de la matière s'avère inépuisable. Ainsi, ses nombreux objets de petit format peuvent se glisser dans le creux de la main, comme pour mieux se les approprier, renforcer l'intimité. C'est le cas des billes irrégulières de la série limitée Monte Carlo (2012) ou des figurines blanches des Univers proxémiques (2010-2011), pions manipulables sur l'échiquier des relations humaines. Dans ces deux cas, l'échelle et le mode de présentation invitent la sculpture à descendre de son piédestal, le spectateur à s'affranchir des interdits souvent encore de mise dans la monstration de la création contemporaine. Donner corps, décliner les particularismes, étudier l'anatomie et le regard que nous portons sur elle, c'est un leitmotiv de la démarche de Laetitia Lefèvre, qui capture entre autres les yeux de manière obsessionnelle, au bic, sur du papier à dessin (2014). Dans son dernier travail, l'artiste reste attachée à son sujet, mais prend un peu de distance en s'intéressant aux machines des salles de fitness, celles qui faonnent les corps pour mieux les faire coller aux standards. Elle les réalise en p‰te à modeler rose, rappelant entre autres du mobilier pour poupées Barbie ou les sculptures molles de Claes Oldenburg. Opini‰trement et allègrement, Laetitia Lefèvre se joue des codes en matière de représentation culturelle et sociale. En parallèle, dans Undress your Mind, série de pièces uniques en céramique blanche émaillée, elle reprend un des thèmes les plus anciens de l'histoire de l'art : la figuration des organes sexuels, tant masculins que féminins. Au moment o, paradoxalement, le moindre téton peut entra”ner les foudres de la censure et o la pornographie concerne un quart des recherches sur le web, l'artiste multiplie phallus et vagins en s'affranchissant avec humour de toute norme ou tabou. Si le commerce florissant du sex-toy de luxe remet l'olisbos à l'honneur, le catalogue de Laetitia Lefèvre est bien moins uniforme ; on y retrouve des modèles de toutes tailles et de tous genres. Comme pour les perles baroques, faonnées par la nature, les plus irréguliers s'avèrent souvent les plus précieux. Avec ses collections récentes d'objets de plaisir et de torture, l'artiste replace tout naturellement la sexualité au coeur de la réflexion artistique et philosophique. ...

 

Julie Hanique [ Historienne d'art ]